Soleil, je t’adore comme les sauvages,
à plat ventre sur le rivage
Soleil, tu vernis tes chromos,
tes paniers de fruits, tes animaux.
Fais-moi le corps tanné, salé ;
fais ma grande douleur s’en aller.
Le nègre, dont brillent les dents,
est noir dehors, rose dedans.
Moi je suis noir dedans et rose
dehors, fais la métamorphose.
Change-moi d’odeur, de couleur,
comme tu as changé Hyacinthe en fleur.
Fais braire la cigale en haut du pin,
fais-moi sentir le four à pain.
L’arbre à midi rempli de nuit
la répand le soir à côté de lui.
Fais-moi répandre mes mauvais rêves,
soleil, boa d’Adam et d’Eve.
Fais-moi un peu m’habituer,
à ce qe mon pauvre ami Jean soit tué.
Loterie, étage tes lots
de vases, de boules, de couteaux.
Tu déballes ta pacotille
sur les fauves, sur les Antilles.
Chez nous, sors ce que tu as de mieux,
pour ne pas abîmer nos yeux.
Baraque de la Goulue, manège
en velours, en miroirs, en arpèges.
Arrache mon mal, tire fort,
charlatan au carrosse d’or.
Ce que j’ai chaud ! C’est qu’il est midi.
Je ne sais plus bien ce que je dis.
Je n’ai plus mon ombre autour de moi
soleil ! ménagerie des mois.
Soleil, Buffalo Bill, Barnum,
tu grises mieux que l’opium.
Tu es un clown, un toréador,
tu as des chaînes de montre en or.
Tu es un nègre bleu qui boxe
les équateurs, les équinoxes.
Soleil, je supporte tes coups ;
tes gros coups de poing sur mon cou.
C’est encore toi que je préfère,
soleil, délicieux enfer.
dit par Jean MERCURE
Jean COCTEAU (Poèmes, 1920)