Allez, je veux rester seule avec les tombeaux :
— Les morts sont sous la terre et le matin est beau,
L’air a l’odeur de l’eau, de l’herbe, du feuillage,
Les morts sont dans la mort pour le reste de l’âge…
Un jour, mon corps dansant sera semblable à eux,
J’aurai l’air de leur front, le vide de leurs yeux,
J’accomplirai cet acte unique et solitaire,
Moi qui n’ai pas dormi seule, aux jours de la terre !
— Tout ce qui doit mourir, tout ce qui doit cesser,
La bouche, le regard, le désir, le baiser !
Etre la chose d’ombre et l’être de silence
Tandis que le printemps vert et vermeil s’élance
Et monte trempé d’or, de sève et de moiteur !
Avoir eu comme moi le coeur si doux, le coeur
Plein de plaisir, d’espoir, de rêve, et de mollesse
Et ne plus s’attendrir de ce que l’aube cesse ;
Etre au fond du repos l’éternité du temps…
— D’autres alors seront vivants, joyeux, contents.
Des hommes marcheront auprès des jeunes filles
Ils verront des labours, des moissons, des faucilles,
La couleur délicate et changeante des mois.
Moi, je ne verrai plus, je serai morte, moi,
Je ne saurai plus rien de la douceur de vivre…
Mais ceux-là qui liront les pages de mon livre,
Sachant ce que mon âme et mes yeux ont été,
Vers mon ombre riante et pleine de, clarté
Viendront, le coeur blessé de langueur et d’envie,
Car ma cendre sera plus chaude que leur vie…
dit par Madeleine RENAUD
Anna DE NOAILLES (L’ombre des jours, 1902)