Déjà la vie ardente incline vers le soir,
Respire ta jeunesse,
Le temps est court qui va de la vigne au pressoir,
De l’aube au jour qui baisse ;
Garde ton ame ouverte aux parfums d’alentours,
Aux murmures de l’onde,
Aime l’effort, l’espoir, l’orgueil, aime l’amour,
C’est la chose profonde ;
Combien s’en sont allés de tous les coeurs vivants
Au séjour solitaire
Sans avoir bu le miel ni respiré le vent
Des matins de la terre,
Combien s’en sont allés, qui, ce soir, sont pareils
Aux racines des ronces,
Et qui n’ont pas goûté la vie où le soleil
Se déploie et s’enfonce ;
Ils n’ont pas répandu les essences et l’or
Dont leurs mains étaient pleines,
Les voici maintenant dans cette ombre ou l’on dort
Sans rêve et sans haleine ;
— Toi, vis, sois innombrable à force de désirs,
De frissons et d’extase,
Penche sur les chemins où l’homme doit servir
Ton âme comme un vase,
Mêlée aux jeux des jours, presse contre ton sein
La vie âpre et farouche;
Que la joie et l’amour chante comme un essaim
D’abeilles sur ta bouche.
Et puis regarde fuir, sans regret ni tourment,
Les rives infidèles,
Ayant donné ton coeur et ton consentement
A la nuit éternelle.
dit par Madeleine RENAUD
Anna DE NOAILLES (Le Coeur innombrable, 1901)