-Mon enfant, ma soeur,
-Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble!
-—Aimer à loisir,
-Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble!
-Les soleils mouillés
-De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
-Si mystérieux
-De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

-Des meubles luisants,
-Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre;
-Les plus rares fleurs
-Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre.
-Les riches plafonds,
-Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
-Tout y parlerait
-A l’âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

-Vois sur ces canaux
-Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde;
-C’est pour assouvir
-Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde,
-—Les soleils couchants
-Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
-D’hyacinthe et d’or;
-—Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

 

dit par Pierre BLANCHAR

dit par André NERMAN

Charles BAUDELAIRE (Les Fleurs du mal, 1857)