Muses, qui ne songez à plaire ou à déplaire,
Je sens que vous partez sans même dire adieu.
Voici votre matin et son coq de colère.
De votre rendez-vous je ne suis plus le lieu.
Je n’ose pas me plaindre, ô maîtresses ingrates ;
Vous êtes sans oreille et je perdrais mon cri.
L’une à l’autre nouant la corde de vos nattes,
Vous partirez, laissant quelque chose d’écrit.
C’est ce que vous voulez. Allez, je me résigne,
Et si je dois mourir, reparaissez avant.
L’encre bleu dont je me sers est le sang bleu d’un cygne,
Qui meurt quand il le faut pour être plus vivant.
Du sommeil hivernal, enchantement étrange,
Muses, je dormirai, fidèle à vos décrets.
Votre travail fini, c’est fini. J’entends l’ange
La porte refermer sur vos grands corps distraits.
Que me laissez-vous donc ? Amour, tu me pardonnes,
Ce qui reste, c’est toi : l’agnelet du troupeau.
Viens vite, embrasse-moi, broute-moi ces couronnes,
Arrache ce laurier qui me coupe la peau.
dit par Jean MERCURE
Jean COCTEAU (Plain-chant, 1923)