Rien ne sert de courir, il faut partir à point.
Le lièvre et la tortue en sont un témoignage.
« Gageons, dit celle-ci, que vous n’atteindrez point
Sitôt que moi ce but. — Sitôt ? êtes-vous sage ?
Repartit l’animal léger.
Ma commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d’ellébore.
— Sage ou non, je parie encore. »
Ainsi fut fait, et de tous deux
On mit près du but les enjeux.
Savoir quoi, ce n’est pas l’affaire,
Ni de quel juge l’on convint.
Notre lièvre n’avait que quatre pas à faire :
J’entends de ceux qu’il fait, lorsque, prêt d’être atteint,
Il s’éloigne des chiens, les renvoie aux calendes
Et leur fait arpenter les landes.
Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir et pour écouter
D’où vient le vent, il laisse la tortue
Aller son train de sénateur.
Elle part, elle s’évertue ;
Elle se hâte avec lenteur.
Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de gloire,
Croit qu’il y va de son honneur
De partir tard. Il broute, il se repose,
Il s’amuse à tout autre chose
Qu’à la gageure. A la fin, quand il vit
Que l’autre touchait presque au bout de la carrière,
Il partit comme un trait; mais les élans qu’il fit
Furent vains : la tortue arriva la première.
« Eh bien ! lui cria-t-elle, avais-je pas raison ?
De quoi vous sert votre vitesse ?
Moi, l’emporter ! et que serait-ce
Si vous portiez une maison? »
dit par Georges CHAMARAT
Jean de LA FONTAINE (Les Fables, 1668-1678)