Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait
- Bien posé sur un coussinet,
Prétendait arriver sans encombre à la ville,
Légère et court vêtue, elle allait à grands pas,
Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile,
-Cotillon simple et souliers plats.
-Notre laitière ainsi troussée
-Comptait déjà dans sa pensée
Tout le prix de son lait, en employait l’argent,
Achetait un cent d’oeufs, faisait triple couvée :
La chose allait à bien par son soin diligent.
-« Il m’est, disait-elle, facile
D’élever des poulets autour de ma maison :
-Le renard sera bien habile
S’il ne m’en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s’engraisser coûtera peu de son ;
Il était, quand je l’eus, de grosseur raisonnable :
J’aurai, le revendant, de l’argent bel et bon.
Et qui m’empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau ? »
Perrette là-dessus saute aussi, transportée :
Le lait tombe; adieu veau, vache, cochon, couvée.
La dame de ces biens, quittant d’un oeil marri
-Sa fortune ainsi répandue,
-Va s’excuser à son mari,
-En grand danger d’être battue.
-Le récit en farce en fut fait ;
-On l’appela le Pot au lait.

dit par Magali DE VENDEUIL

Jean de LA FONTAINE (Les Fables, 1668-1678)