Sur la bruyère arrosée
   De rosée,
Sur le buisson d’églantier,
Sur les ombreuses futaies,
   Sur les baies
Croissant au bord du sentier;

Sur la modeste et petite
   Marguerite,
Qui penche son front rêvant;
Sur le seigle, verte houle
   Qui déroule
Le caprice ailé du vent;

Sur les prés, sur la colline
   Qui s’incline
Vers le champ bariolé
De pittoresques guirlandes;
   Sur les landes,
Sur le grand orme isolé,

La demoiselle se berce,
   Et, s’il perce
Dans la brume, au bord du ciel,
Un rayon d’or qui scintille,
   Elle brille
Comme un regard d’Ariel.

Traversant près des charmilles
   Les familles
Des bourdonnants moucherons,
Elle se mêle à leur ronde
   Vagabonde,
Et comme eux décrit des ronds.

Bientôt elle vole et joue
   Sur la roue
Du jet d’eau qui, s’élançant
Dans les airs, retombe, roule
   Et s’écoule
En un ruisseau bruissant.

Plus rapide que la brise,
   Elle frise,
Dans son vol capricieux,
L’eau transparente où se mire
   Et s’admire
Le saule au front soucieux;

Où, s’entr’ouvrant blancs et jaunes,
   Près des aunes,
Les doux nénuphars en fleurs,
Au gré du flot qui gazouille
   Et les mouille,
Etalent leurs deux couleurs;

Où se baigne le nuage,
   Où voyage ,
Le ciel d’été souriant;
Où le soleil plonge, tremble,
   Et ressemble
Au beau soleil d’Orient.

Et quand la grise hirondelle
   Auprès d’elle
Passe et ride à plis d’azur,
Dans sa course circulaire
   L’onde claire,
Elle s’enfuit d’un vol sûr.

Bois qui chantent, fraîches plaines
   D’odeurs pleines,
Lacs de moire, coteaux bleus,
Ciel où le nuage passe,
   Large espace,
Monts aux rochers anguleux,

Voilà l’immense domaine
   Où promène
Ses caprices, fleur des airs,
La demoiselle nacrée,
   Diaprée
De reflets roses et verts.

Dans son étroite famille
   Quelle fille
N’a pas vingt fois souhaité,
Rêveuse, d’être comme elle,
   Demoiselle,
Demoiselle en liberté?

dit par Yvonne GAUDEAU (fragment)

Théophile GAUTIER (Poésies diverses, 1838)