Il faut, autant qu’on peut, obliger tout le monde :
On a souvent besoin d’un plus petit que soi.
De cette vérité deux fables feront foi,
-Tant la chose en preuves abonde.
-Entre les pattes d’un lion
Un rat sortit de terre assez à l’étourdie.
Le roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu’il était, et lui donna la vie.
-Ce bienfait ne fut pas perdu.
-Quelqu’un aurait-il jamais cru
-Qu’un Lion d’un Rat eût affaire ?
Cependant il advint qu’au sortir des forêts
-Ce Lion fut pris dans des rets
Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu’une maille rongée emporta tout l’ouvrage.
-Patience et longueur de temps
-Font plus que force ni que rage.

L’autre exemple est tiré d’animaux plus petits.
Le long d’un clair ruisseau buvait une colombe,
Quand sur l’eau se penchant une fourmis y tombe ;
Et dans cet océan l’on eût vu la fourmis
S’efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
La colombe aussitôt usa de charité :
Un brin d’herbe dans l’eau par elle étant jeté,
Ce fut un promontoire où la fourmis arrive.
-Elle se sauve ; et là-dessus
Passe un certain croquant qui marchait les pieds nus.
Ce Croquant, par hasard, avait une arbalète.
-Dès qu’il voit l’oiseau de Vénus
Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête.
Tandis qu’à le tuer mon villageois s’apprête,
-La fourmis le pique au talon.
-Le vilain retourne la tête :
La colombe l’entend, part, et tire de long.
Le soupé du croquant avec elle s’envole :
-Point de pigeon pour une obole.

dit par Olivia ANDERSON

Jean de LA FONTAINE (Les Fables, 1668-1678)